Trump en pape : blasphème numérique ou provocation politique ?

Trop, c’est trop. À la veille du conclave chargé de désigner le successeur du pape François, disparu le 21 avril, Donald Trump a une nouvelle fois franchi la ligne rouge — ou plutôt blanche, celle de l’aube papale. Une image générée par intelligence artificielle, où il trône vêtu des atours pontificaux, a été diffusée par le président américain lui-même sur Truth Social, puis sur X. L’homme qui se veut sauveur de l’Amérique se rêve désormais… vicaire du Christ ?
Une gifle à 60 millions de catholiques américains
Si l’intention était de faire rire, elle a échoué. Car ce cliché grotesque, où Trump s’auto-proclame Pape des États-Unis, a profondément choqué les 60 millions de catholiques américains, et au-delà, une grande partie du monde chrétien. En particulier la communauté hispanique, majoritaire aujourd’hui parmi les fidèles, très attachée au pape François, perçu comme l’un des leurs.
Trump, protestant presbytérien sans réel parcours religieux notable, insulte une tradition millénaire dans un timing explosif. Il ne s’est pas contenté de publier l’image : il a déclaré devant les caméras qu’il « aimerait être pape », précisant que ce serait « [son] premier choix ». Puis, dans un retournement typique de sa communication erratique, il a demandé à ses partisans… de ne plus diffuser l’image.
Colère ecclésiastique et malaise au Vatican
Le cardinal Joseph Tobin, archevêque de Newark, souvent cité parmi les papabili potentiels, s’est retrouvé du jour au lendemain plongé dans le ridicule malgré lui. Tout comme JD Vance, actuel vice-président de Trump, catholique pratiquant, tout juste revenu du Vatican où il avait pu rencontrer le pape François peu avant sa mort. Désormais, les regards se détournent avec embarras.
Le National Catholic Reporter rapportait dès le 4 mai qu’au moins un évêque américain avait publiquement demandé des excuses. Le cardinal Timothy Dolan, figure éminente de l’Église à New York et réputé proche de Trump, a lui-même déclaré que ce n’était « pas acceptable ». Pour beaucoup, cette insulte symbolique affaiblit encore davantage les chances déjà minces de voir un cardinal américain élu pape.
James Bretzke, théologien à la John Carroll University, résume la situation sans détour : « L’image de l’Amérique est désormais trop toxique pour le monde catholique ». L’autre cardinal mentionné parmi les prétendants, Raymond Burke, connu pour ses positions ultraconservatrices, semble également hors course.
Le culte religieux selon Trump : entre foi spectacle et clientélisme évangélique
Ce scandale intervient dans un contexte où Trump instrumentalise plus que jamais la religion à des fins électorales. Depuis janvier, il a mis en place un Office of Faith, instauré un « Jour national de la prière » au 1er mai, et renforcé ses liens avec les milieux évangéliques radicaux comme le télévangéliste Hank Kunneman. Ce dernier voit en Trump un « messie constitutionnel ». Une rhétorique dangereuse, qui pousse une frange de latinos conservateurs à abandonner la foi catholique au profit d’un protestantisme politisé.
Une blague qui tourne à la farce mondiale
Le sénateur républicain Lindsey Graham a tenté de désamorcer la situation en ironisant sur Truth Social : « Un pape-président ? Pourquoi pas ! Trump MMXXVIII ! ». Mais l’Église, elle, n’a pas ri. Et les observateurs avertis non plus. Patrick Flanagan, professeur de théologie à St. John’s University, le confirme : « Trump est le pire soutien possible pour l’Église catholique américaine ».
Mike Pence, ex-vice-président devenu évangéliste, n’a pas mâché ses mots : « Il a dépassé toutes les bornes ». La critique est d’autant plus cinglante qu’elle émane d’un homme qui fut longtemps son allié politique et spirituel.
Conclusion : Trump, le blasphémateur stratégique ?
Si cette affaire peut sembler anecdotique, elle révèle pourtant une mécanique bien rodée : celle d’un Trump provocateur, maître dans l’art de détourner l’attention et de fracturer les identités pour mieux rassembler les siens. Ce pape en carton-pâte n’est peut-être qu’un prétexte. Mais il vient bousculer le fragile équilibre entre politique, foi et représentation symbolique. Et il illustre une fois encore combien le narcissisme peut, à lui seul, devenir un acte de violence politique.