Niches fiscales : les plus riches festoient… et l’État trinque

En France, les petits malins de la fiscalité n’ont que l’embarras du choix pour limiter — voire annuler — leurs impôts sur le revenu et le patrimoine. Avec près de 474 « dérogations fiscales » recensées en 2025, l’État consent chaque année à des cadeaux fiscaux évalués officiellement à 85 milliards d’euros — et à presque 100 milliards si l’on utilisait la méthode de chiffrage historique. Bref, un manque à gagner abyssal qui pèse sur le budget public, creuse le déficit et aiguise les inégalités.
1. Niches fiscales : coup de pouce ou gouffre financier ?
Les « niches » se présentent sous trois formes :
Déductions du revenu imposable (on soustrait un montant avant de calculer l’impôt)
Réductions de l’impôt dû (on ôte directement une somme du total)
Crédits d’impôt (qui peuvent dépasser l’impôt et générer un remboursement)
En 2025, seules 387 niches sont chiffrées précisément ; pour les autres, on se contente d’« ordres de grandeur ». Résultat : la méthode de calcul est fragile, éclatée entre plusieurs services du ministère, et donne lieu à d’incessantes mises en garde de la Cour des comptes 😵💫.
2. Coût réel : 100 milliards ou 85 milliards ?
85,1 milliards selon le PLF 2025 (dont 125 uniquement à l’“ordre de grandeur”)
99,4 milliards si l’on reprend la vieille méthodologie, en particulier pour la TVA (anciennement estimée à 20 Md€, amputée à 10 Md€ depuis 2024)
72,1 milliards en 2013 — soit une hausse de près de 40 % en douze ans.
Au final, les niches représentent presque 3,5 % du PIB, un taux vertigineux pour un pays déjà en déficit chronique.
3. Les grands gagnants :> Wealth Edition
Particuliers aisés 🔝
Assurance-vie, PEA, PER, PEE… près de 2 000 Md€ d’encours en assurance‑vie fin 2024, un record historique.
Abattement de 10 % pour les retraités (jusqu’à 4 321 €), coût : 4,6 Md€, profitant surtout aux plus hauts revenus.
Crédit d’impôt pour emploi à domicile : + 6 Md€, mais surtout utilisé pour le jardinage, le coaching sportif et autres services de confort par les 20 % les plus riches.
Ultra-riches et héritiers 💰
Pacte Dutreil (transmission d’entreprises familiales) : manque à gagner estimé entre 2 et 3 Md€ par an, aboutissant à 85 % des Français exonérés de droits de succession et 40 % du patrimoine transmis hors imposition.
4. Les entreprises n’ont pas été oubliées
Crédit d’impôt recherche (CIR) : 7,7 Md€ en 2025 partagés entre 15 500 entreprises (500 000 € en moyenne). Bilan : peu d’innovations supplémentaires, pas de frein aux délocalisations, et inégalité flagrante PME vs. grands groupes.
TVA à taux réduit (alimentation, énergie, transports…) : coût global autour de 50 Md€, sans ciblage social rigoureux et avec un impact souvent capté par les marges des entreprises.
Régime du fret maritime : seulement 57 compagnies (CMA‑CGM en tête) payent 2 % d’IS au lieu de 27,5 %, économisant 250 M€ en 2021 sur 18 Md€ de profits.
5. Plafonnement : un rideau de fumée ?
Le plafond global des niches est passé de 25 000 € + 10 % du revenu à 10 000 € (hors outre‑mer et SOFICA, qui bénéficient d’un « surplafonnement » à 18 000 €). Mais certains dispositifs — déficits fonciers, œuvres d’art, donations — échappent complètement à ce plafond, continuant d’alimenter les plus gros patrimoines.
6. L’évaluation : un serpent de mer
Depuis 2008, les commissions parlementaires et la Cour des comptes réclament des bilans d’efficacité systématiques. En 2011, l’IGF note que plus des deux tiers du coût des 315 niches évaluées sont… inefficients (note 0 ou 1 sur 3). Malgré tout, presque aucune n’a été supprimée, et en 2023 la Cour déplore que zéro des onze évaluations prévues pour 2022 n’ait été réalisées. Les quatre leviers d’action proposés (plafonner, limiter la durée, piloter annuellement, évaluer exhaustivement d’ici 2027) restent lettre morte.
Conclusion
Niches fiscales et dépenses fiscales sont devenues un « jackpot » légal pour les plus fortunés et les grandes entreprises, au prix d’une érosion constante des recettes publiques et d’une aggravation des inégalités. Jusqu’à quand l’État continuera-t-il de fermer les yeux ?
Sources principales : Projet de loi de finances 2025, rapport PLF 2025, Cour des comptes, Insee 2021.