Donald Trump, président des intérêts privés ? Quand cryptomonnaies, golfs et politique se confondent

Une présidence pour soi ?
Un document récemment rendu public par la Maison-Blanche soulève une nouvelle fois une question lancinante : Donald Trump est-il président des États-Unis ou d’abord PDG de ses propres affaires ? Ce rapport financier officiel, long de 230 pages, dévoile que l’actuel président américain a perçu plus de 57,35 millions de dollars grâce à ses investissements dans les cryptomonnaies – notamment via la vente de tokens émis par la société World Liberty Financial. Ces jetons (ou tokens), au nombre de 100 milliards, ont été attribués en partie à une entité baptisée DT Marks Defi, entreprise directement liée à Trump.
Le document répertorie également des revenus provenant d'autres activités commerciales personnelles du président : 2,8 millions de dollars de royalties pour des montres à son nom, 2,5 millions pour des parfums, et surtout, des dizaines de millions de dollars générés par ses clubs privés et golfs, en particulier Mar-a-Lago en Floride (plus de 50 millions de dollars de revenus), West Palm Beach (29 millions), et Miami (110 millions).
Une politique crypto-friendly qui rapporte (à lui-même)
Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a ostensiblement soutenu le secteur des cryptomonnaies. Ce soutien n’a rien de désintéressé. En plus de ses investissements directs, ses deux fils aînés figurent parmi les promoteurs les plus actifs du secteur, et son administration n’a pas hésité à placer des partisans convaincus des cryptomonnaies à des postes stratégiques. Ainsi, Paul Atkins, figure bien connue pour ses positions dérégulatrices, a été nommé à la tête de la SEC (Securities and Exchange Commission), l’organisme de régulation des marchés financiers. Quant au vice-président JD Vance, il qualifie Trump de « champion de la blockchain et des libertés numériques ».
Mais ces liens entre politique publique et intérêts privés suscitent des interrogations majeures, voire des inquiétudes juridiques.
Conflits d’intérêts : ce que dit la loi américaine
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la loi fédérale américaine n’impose pas au président des États-Unis de se désengager formellement de ses activités économiques ou de placer ses avoirs dans un « blind trust », comme c’est le cas pour d’autres hauts fonctionnaires. Mais cela ne l’exonère pas de toute responsabilité :
Clause sur les profits issus de la fonction publique (Emoluments Clause, Article I, Section 9, Clause 8 de la Constitution américaine) : elle interdit à toute personne occupant une fonction officielle de recevoir des profits, cadeaux ou avantages d’un gouvernement étranger sans l’accord du Congrès. Si certains investisseurs étrangers ont utilisé les jetons de World Liberty Financial ou fréquenté les établissements Trump dans un but d’influence, cette clause pourrait être invoquée.
Loi sur l’enrichissement personnel (18 U.S. Code § 208) : bien qu’elle ne s’applique pas directement au président, elle illustre l’esprit des lois anti-corruption : un responsable public ne peut participer à une décision gouvernementale dans laquelle il a un intérêt financier direct. Or, le fait d’encourager le développement de la cryptomonnaie tout en y investissant personnellement est, au minimum, une ligne grise éthique.
Utilisation de la fonction publique à des fins privées : les règles de l’Office of Government Ethics précisent que l'utilisation de la fonction présidentielle pour promouvoir des produits ou des intérêts financiers personnels constitue une violation éthique – même si ce n’est pas toujours une infraction pénale.
Quand le pouvoir devient entreprise
Ce n’est pas la première fois que Donald Trump flirte avec la confusion des genres. Lors de son premier mandat, il avait été accusé d’avoir utilisé les hôtels Trump à Washington pour accueillir des délégations étrangères, ou d’avoir favorisé ses entreprises dans des événements officiels.
La différence, c’est que désormais, le président ne se cache même plus. Il engrange des millions grâce à une politique taillée sur mesure pour ses propres intérêts économiques. Pendant ce temps, des millions d’Américains subissent l’inflation, la précarité, et les désengagements sociaux d’un gouvernement de plus en plus orienté vers le « chacun pour soi ».
Conclusion : la République transformée en franchise ?
Le cas Trump illustre à merveille le basculement de la démocratie américaine vers une oligarchie capitaliste décomplexée, où la frontière entre affaires publiques et profits personnels s’efface un peu plus chaque jour.
Plus qu’un scandale isolé, c’est un symptôme du dérèglement profond de l’éthique politique aux États-Unis, où l’on peut devenir président… sans jamais cesser d’être businessman.