Par vieuxcon — uneautrevie.org
Chaque année, Bercy nous joue le même morceau :
“Les dépenses sont sous contrôle, le déficit se réduit, la trajectoire reste maîtrisée.”
Et chaque année, la dette augmente.
On croirait écouter un orchestre symphonique qui jure qu’il ne pleut pas, pendant qu’on écope la fosse d’orchestre.
I. Le budget visible… et les autres
Officiellement, la France dépense 1 700 milliards d’euros par an.
Mais seuls 1 300 milliards sont “budgétés”.
Le reste — environ 400 milliards — relève d’une nébuleuse :
fonds spéciaux,
agences autonomes,
dépenses classifiées,
partenariats public-privé,
et missions interministérielles sans ligne claire.
Autrement dit : un quart du budget échappe à la lecture directe du Parlement.
La République n’a pas de poches vides — elle a des poches secrètes.
II. La sécurité, grande lessiveuse républicaine
Depuis 2015, les budgets “sécurité et défense” ont augmenté de plus de 70 %.
Mais derrière les chiffres officiels, s’empilent des lignes de dépenses introuvables :
programmes classés “intelligence économique”,
contrats confidentiels passés avec des prestataires privés,
opérations “extérieures” couvertes par des budgets d’aide au développement (!).
Le ministère de l’Intérieur et celui des Armées utilisent un outil pratique :
le “crédit de report”, qui permet de dépenser aujourd’hui ce qu’on justifiera demain.
Résultat : des milliards glissent entre les exercices, invisibles pour la Cour des comptes.
Officiellement, on parle d’agilité.
Officieusement, d’amnésie organisée.
III. Les consultants, nouveaux barons de l’État
À la place du SAC et des barbouzes, la Ve République a inventé un autre bras armé : le PowerPoint stratégique.
McKinsey, Capgemini, EY, BCG…
En 2023, la dépense de conseil public en France dépasse 1,2 milliard d’euros, soit +800 % en dix ans (source : Sénat, commission d’enquête).
Les ministères confient la rédaction de politiques publiques à des cabinets privés, souvent sans appel d’offres clair, parfois pour des montants supérieurs aux budgets internes.
Certaines missions sont redondantes, d’autres purement cosmétiques.
Mais toutes ont un point commun : elles permettent de transférer de l’argent public hors du radar administratif, dans des structures qui ne publient ni comptes détaillés ni contrats complets.
C’est la sous-traitance du déficit.
IV. Le “hors budget”, ce tiroir magique
Le génie bureaucratique français a inventé le concept de mission interministérielle : un regroupement de crédits issus de plusieurs ministères pour un objectif commun (ex. “Transition écologique”, “Innovation”, “Plan France 2030”).
En pratique, cela permet de sortir les dépenses du périmètre de contrôle du budget général.
Ces circuits parallèles servent parfois à accélérer un projet, mais surtout à recycler des fonds inutilisés ou à dissimuler les dépassements d’un autre poste.
L’État s’auto-alimente : il reporte, rebaptise, reprogramme.
Résultat : personne ne sait précisément combien coûte la République.
V. Le silence comptable
Lorsqu’un député demande des détails sur ces zones d’ombre, Bercy répond souvent :
“Les informations sont couvertes par le secret commercial ou la confidentialité de la défense nationale.”
En clair : circulez, il n’y a rien à comptabiliser.
La Cour des comptes, dans son rapport 2024, admet qu’“une part croissante des dépenses de l’État échappe au contrôle a posteriori”.
Les chiffres n’ont plus d’auditeurs.
Et le déficit devient un champ lexical : tout dépend de ce qu’on appelle “public”.
VI. Du passé liquide au présent gazeux
Les réseaux Pasqua, avec leurs enveloppes et leurs bars, paraissaient artisanaux.
Aujourd’hui, la République liquide est devenue gazeuse : elle ne coule plus, elle s’évapore.
Les circuits parallèles du budget ressemblent à ces tuyaux de climatisation qui serpentent au plafond des open spaces ministériels : on entend le souffle, on sent la chaleur, mais personne ne sait où ça va.
Entre sécurité nationale, communication politique et conseil privé, le déficit français n’est plus une simple dette — c’est un brouillard.
🧩 Conclusion : la dette d’influence
La France ne s’endette pas seulement pour financer ses écoles, ses hôpitaux ou ses routes.
Elle s’endette aussi pour acheter du silence, des compétences privées, et de la complaisance.
C’est le prix d’un modèle de gouvernance où l’on préfère la discrétion à la responsabilité.
Et pendant qu’on débat de “réduction du train de vie de l’État”,
les circuits parallèles continuent de ronronner, invisibles, à l’abri du regard public.
Le déficit fantôme, ce n’est pas un trou : c’est un labyrinthe.
🗞️ Phantom Deficit II — France’s Parallel Budgets: Security, Consulting and the Cost of Silence
By vieuxcon — uneautrevie.org
Every year, the French finance ministry plays the same tune:
“Public spending is under control. The deficit is shrinking. The trajectory is stable.”
And every year, the debt climbs higher.
It’s like listening to an orchestra denying the flood while the pit fills with water.
I. The visible budget… and the rest
Officially, France spends €1.7 trillion a year.
But only €1.3 trillion is actually budgeted.
The rest — roughly €400 billion — disappears into a fog of off-book structures:
- special funds,
- autonomous agencies,
- classified expenditures,
- public–private partnerships,
- and “interministerial missions” with undefined boundaries.
In short: a quarter of French public spending is beyond direct parliamentary scrutiny.
The Republic doesn’t have empty pockets — it has secret ones.
II. Security: the Republic’s great laundering machine
Since 2015, the budgets for “security and defence” have grown by over 70 %.
But behind those official figures lie pages of invisible spending:
- programs labelled “economic intelligence”,
- confidential contracts with private suppliers,
- military operations disguised as “development aid”.
Both the Interior and Defence ministries rely on a neat trick: the carryover credit, which lets them spend now and justify later.
Result: billions shift between fiscal years, unseen by the Court of Auditors.
Officially, it’s called flexibility.
Unofficially, it’s organised forgetfulness.
III. Consultants — the new barons of the State
In place of the SAC’s muscle and its enforcers, the Fifth Republic has created another weapon: the strategic PowerPoint.
McKinsey, Capgemini, EY, BCG…
By 2023, France’s public consulting bill exceeded €1.2 billion, an 800 % increase in a decade (Senate inquiry report).
Ministries now outsource policy design to private firms — often without open bidding, and sometimes for more than their own in-house budgets.
Some reports duplicate others; some serve no purpose at all.
But all share one function: they move public money outside public oversight.
It’s the outsourcing of the deficit.
IV. The “off-budget” trick
French bureaucracy has perfected the interministerial mission: a cross-ministry pot of money devoted to a “shared objective” — like “Ecological Transition”, “Innovation”, or “France 2030”.
In practice, this allows spending to be shifted off the main budget and out of clear accountability.
These side channels can speed up a project — or conveniently bury cost overruns and recycle idle funds.
The State feeds itself: it rolls over, renames, and repackages.
End result: no one knows what the Republic really costs.
V. The accounting of silence
When MPs ask for details on these opaque areas, Bercy’s standard reply is:
“This information is protected by commercial confidentiality or national-security restrictions.”
Translation: move along, nothing to audit here.
The 2024 report of the Court of Auditors concedes that “a growing share of State expenditure escapes ex-post verification.”
Numbers have lost their auditors.
And the deficit has become a matter of vocabulary: it depends on what you choose to call “public”.
VI. From liquid to gaseous Republic
Pasqua’s old patronage networks, with their cafés and envelopes, almost look artisanal now.
Today’s Republic isn’t liquid anymore — it’s gaseous.
It doesn’t flow, it evaporates.
France’s parallel budgets are like the air ducts snaking across ministry ceilings: you hear the hum, you feel the heat, but nobody knows where it goes.
Between national security, political PR, and private consulting, France’s deficit is no longer a debt — it’s a fog.
🧩 Conclusion: the debt of influence
France borrows not only to fund its schools and hospitals,
but also to buy silence, private expertise, and political loyalty.
It’s the cost of a system that values discretion over responsibility.
While ministers preach “fiscal discipline”, the parallel circuits keep humming — quietly, invisibly, expensively.
The phantom deficit isn’t a hole.
It’s a maze.