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 De la casse sociale à la panique boursière : l’élite face à sa volte‑face 

Voici une illustration satirique qui frappe par son contraste : un milliardaire en costume trois‑pièces devant le temple de Wall Street, versant des larmes en pièces d’or, tandis que des silhouettes de travailleurs s’éloignent dans l’ombre

 Le désastre libéral en acte

Le « jour de la libération » du 2 avril 2025 aura surtout libéré la zizanie sur les marchés mondiaux :

Le FTSE 100 a plongé de 5 % le vendredi 4 avril, reflétant la panique provoquée par l’annonce de droits de douane pouvant atteindre 104 % sur la Chine et un relèvement généralisé des barrières tarifaires > The Times.

En cause : une escalade vertigineuse qui a fait vaciller les indices de Hong Kong, Shanghai et Taipei, tandis que les rendements obligataires (japonais comme américains) se détérioraient sous la crainte d’une crise de liquidité > The Times.

Le programme « pro-business » vanté par Donald Trump s’est transformé en un véritable ouragan protectionniste, incapable de viser finement ses cibles sans pulvériser ses soutiens.

 L’hypocrisie des maîtres du monde

Silencieux lors des vagues de licenciements et des blocages salariaux, certains dirigeants financiers n’ont pas tardé à hurler… quand leurs bonus étaient menacés :

Ken Langone, figure de Wall Street, a confessé dans le Financial Times sa terreur devant ces « tariffs wars » qui, selon lui, font peser un risque majeur sur l’économie mondiale > Financial Times.

À l’inverse, lors des suppressions d’emplois massives dans la tech au premier trimestre 2025 (près de 88 000 postes sacrifiés rien qu’en mars), pas un mot de protestation publique contre la casse sociale > Bruegel.

Cette dissymétrie parle d’elle‑même : geler les salaires, démanteler les syndicats, délocaliser à tour de bras… tant que le S&P 500 grimpe, tout va bien ; dès que leurs propres bilans vacillent, ils invoquent l’« incertitude » et la « morosité » qui, ô surprise, nuisent à la croissance.

 L’Europe prise à contre‑courant

Face à ce séisme transatlantique, l’Union européenne a réagi, mais ses grands noms du luxe n’ont guère brillé par la cohérence :

Ursula von der Leyen annonçait des « contre‑mesures » pour préserver le marché unique, qualifiant les tarifs américains de « coup majeur porté à l’économie mondiale » > NPR.

Bernard Arnault (LVMH) a renvoyé la balle aux bureaucrates de Bruxelles, estimant que si l’UE n’obtenait pas un accord de libre‑échange « zéro tarif », ce serait leur faute, tout en envisageant de déplacer une partie de sa production aux États-Unis pour contourner les taxes > AP News.

Pourtant, selon une première évaluation du think‑tank Bruegel, le choc tarifaire devrait être limité pour l’Europe dans son ensemble, même si certains secteurs (l’automobile, le vin, l’horlogerie suisse) devront se prémunir > Bruegel. La leçon : se plaindre n’est pas un plan, et pleurer sur vos propres marges en laissant le tissu industriel européen à la merci du moindre coup de vent ne suffira pas.

 Faire assumer les vraies responsabilités

À l’heure où l’on brandit l’équilibre budgétaire comme un totem et où l’on gratte les dernières miettes de pouvoir d’achat des classes moyennes, force est de constater :

Les milliardaires n’ont qu’une seule boussole : leur bilan trimestriel.

Leur stratégie sociale : imposer la précarité tant que ça sert leurs profits, puis réclamer un État fort pour leur venir en aide.

La réponse démocratique : exiger la même rigueur dans la régulation des marchés que dans la défense de l’intérêt général ; conditionner les avantages fiscaux et les partenariats publics-privés à des engagements fermes en faveur des salaires, des syndicats et de l’investissement réel sur le vieux continent.

Si l’on veut un véritable contre‑poids aux dérives mercantiles, il faudra que la justice fiscale et sociale cesse d’être une variable d’ajustement au gré des caprices de la finance : aux coupes sombres dans les budgets publics, répondons par une imposition progressive qui pèse plus lourd sur les poches à huit chiffres que sur celles des employés à trente heures. Il est temps de rappeler à ces maîtres du monde que les peuples ne sont pas de simples lignes comptables.

 Avenir proche (1–2 ans)

Volatilité économique et politique
– Les marchés continueront de souffler le chaud et le froid, entre craintes de récession et espoirs de relance ; la guerre commerciale alimentera un climat d’incertitude, frappant tour à tour les secteurs les plus exposés (automobile, luxe, agroalimentaire) et réveillant les nationalismes économiques.
– Sur le plan social, la pression sur les salaires restera forte : sans contre‑pouvoirs syndicaux réaffirmés et sans relance de la négociation collective, les travailleurs perdront du terrain face aux ajustements comptables des grandes entreprises.

Reconfiguration des alliances commerciales
– L’Europe et ses voisins chercheront à tisser de nouveaux accords (Mercosur, ASEAN, Inde) pour compenser le recul transatlantique ; mais ces négociations seront longues, semées d’embûches environnementales et sociales, et pourraient se solder par des compromis faiblards si elles ne sont pas soutenues par une opinion publique exigeante.
– Les entreprises « champions » (luxe, aéronautique, énergie) vont investir dans la relocalisation partielle et la diversification des chaînes d’approvisionnement ; ces stratégies offriront des opportunités de création d’emplois qualifiés… à condition que les États conditionnent ces investissements à de réels engagements salariaux et environnementaux.

 Avenir lointain (5–10 ans)

Basculement ou consolidation ?
– Deux scénarios s’affrontent :

Consolidation néolibérale, où la concentration du capital s’accélère, les inégalités explosent et l’État‑Providence se réduit à peau de chagrin. Les tensions sociales, déjà perceptibles aujourd’hui, pourraient déboucher sur des crises politiques majeures, voire des mouvements populistes aux formes imprévisibles.

Transition vers un « capitalisme régulé », où la pression citoyenne et les crises (climat, santé, inégalités) poussent les démocraties à instaurer des garde‑fous : taxation plus forte des très hauts revenus, renforcement du droit du travail, régulation des plateformes numériques et de la finance, et pouvoir accru des parlements face aux lobbies.

L’essor de nouveaux modèles économiques
– L’économie circulaire, la finance verte et les entreprises à “mission” pourraient devenir la norme, si les consommateurs et les investisseurs exigent transparence et responsabilité ; les cadres fiscaux et juridiques devront alors évoluer pour reconnaître et soutenir ces modèles, sous peine de rester gadget.
– Le télétravail et la transformation numérique influenceront durablement le marché du travail ; pour éviter la précarisation, il faudra repenser la protection sociale (revenu universel, assurance-chômage adaptée aux travailleurs « gig »), et garantir une formation continue accessible à tous.

Solutions transversales

Renforcer la régulation et la fiscalité progressive
– Mettre en place un impôt mondial minimal sur les fortunes et les profits hors d’Europe, contrebalancé par des allègements ciblés pour les PME et l’innovation durable.
– Conditionner toute aide publique (subventions, prêts, marchés) à des engagements contraignants : salaires minimum décents, représentativité syndicale, respect de normes écologiques.

Rééquilibrer le rapport de forces social
– Encourager la démocratie d’entreprise : comités de salariés au conseil d’administration, codes de conduite contraignants, droit de veto sur les restructurations.
– Relancer la négociation collective au niveau sectoriel, avec un droit de grève renforcé et la facilitation de la création de syndicats indépendants.

Mobiliser la société civile et les institutions européennes
– Soutenir les ONG et les mouvements citoyens qui font pression pour une justice fiscale et sociale réelle.
– Au sein de l’UE, créer un « Observatoire de l’inégalité » doté de pouvoirs d’enquête et de sanction, afin d’évaluer l’impact réel des politiques commerciales et financières sur les populations.

Seule une mobilisation coordonnée – entre États, citoyens et acteurs économiques – pourra transformer le chaos économique en opportunité sociale et environnementale. Il ne s’agit pas d’opposer naïvement l’« État » au “marché”, mais de réconcilier les deux en inscrivant la justice au cœur des équations financières.